Note sur la situation de l’Afrique Centrale

Par Ancien Ministre, Président de la Convergence citoyenne, Président de l’Alliance social-Démocrate du Congo, Bonaventure Mbaya

Dans le contexte mondial actuel marqué par la pandémie du Covid 19 qui a engendré une très grave crise socio économique et contraint l’ensemble des pays du monde à un confinement des populations, les conséquences, pour l’Afrique en général, seront très graves ; elles seront certainement catastrophiques pour l’Afrique centrale à cause des crises politiques qui touchent l’ensemble des pays de cette sous région. En effet, en plus de cette lutte contre la pandémie du covid19, le combat pour la démocratie et l’alternance démocratique demeure une priorité dans les pays de cette sous-région africaine.

Camarades, c’est donc au nom de tous les leaders politiques progressistes, de la sensibilité socialiste ou social-démocrate de l’Afrique centrale que je vous adresse, chaleureusement et très fraternellement, ce message militant des peuples en lutte pour la démocratie, les libertés fondamentales et le progrès social dans tous les pays de notre sous-région.

La sous-région Afrique centrale, dont il est question ici, est certainement l’une des dernières sous région de notre continent, où les libertés fondamentales et la démocratie relèvent encore de la chimère et du rêve. Les onze pays de cette sous région connaissent le même sort en matière de démocratie et d’état de droit. Qu’on prenne le Tchad, la Centrafrique, le Cameroun, Le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao Tome e Principe, le Congo Brazzaville, la République Démocratique du Congo, l’Angola, le Rwanda ou le Burundi, le tableau est le même avec le même déni de démocratie qui pérennise les dictatures en place

La situation des démocrates, et, singulièrement, celle des partis socialistes, sociaux-démocrates et des progressistes dans cette sous-région, est profondément marquée par un environnement hostile à tout progrès démocratique. En somme, l’environnement dans lequel nous évoluons n’est pas démocratique. Les pouvoirs en place mettent tout en œuvre pour entraver le bon fonctionnement de la démocratie et la libre expression des partis politiques.

Les leaders de nos partis et leurs militants sont soumis constamment aux menaces et intimidations diverses. Nous vivons de manière quasi permanente : les assassinats, les attentats, les enlèvements et séquestrations, les répressions multiformes et les interdictions des manifestations publiques, les arrestations arbitraires, les emprisonnements et les tentatives d’empoisonnement, les violations des sièges des partis politiques, le trucage des élections, la confiscation du calendrier électoral et l’absence de financements politiques.

Nous pouvons ajouter à cela, un arsenal de dispositions légales scélérates ne permettant pas la formation des coalitions et alliances qui, sous d’autres cieux, ont conduit aux indispensables révolutions, génératrices des mutations majeures qui transforment les sociétés.

Pourtant, dans cette sous région géostratégique, si riche en ressources naturelles tant convoitées, les partis politiques se réclamant du socialisme ou de la social-démocratie sont très nombreux ; une dizaine d’entre eux sont membres de l’Internationale socialiste et de l’Alliance Progressiste ou sont en voie de le devenir. A l’exception de l’UDPS en RDC et du MPLA en Angola, qui sont au pouvoir actuellement, tous ces partis sont hélas dans l’opposition, depuis trop longtemps, dans leurs pays respectifs.

Jusqu’en 2018, en près de soixante ans d’indépendance africaine, dans notre sous région d’Afrique centrale, seulement deux de ces partis issus des rangs de la gauche, ont exercé démocratiquement le pouvoir d’État dans cette sous-région : l’UPADS au Congo Brazzaville et le MLPC en Centrafrique. Ces deux partis n’ont jamais pu faire deux mandats entiers. Ils ont été renversés, dès le premier mandat, par des coups d’État inspirés par les forces de la droite libérale, soutenues par les multinationales qui, pour garantir une prétendue stabilité indispensable à leurs intérêts, ont instauré, depuis la période coloniale, un système de gestion politique des États d’Afrique centrale qui ne favorise pas l’avènement des forces progressistes au pouvoir.

L’Afrique centrale est, par conséquent, loin d’être, aujourd’hui, un modèle, voire une référence sur le continent, en matière de Démocratie, d’alternance démocratique et politique, de libertés et de justice sociale. C’est la seule sous-région de notre continent dont les dirigeants, pour la plupart au pouvoir depuis plus de 25 ans, refusent toute alternance démocratique, se comportent en dictateurs des tropiques et sont tolérés par la communauté internationale, pour ces raisons d’intérêt qui sapent tous les efforts des démocrates qui y luttent au péril de leurs vies.

Camarades, en tant que démocrates, l’Afrique centrale a besoin de vous ; elle doit faire l’objet de toutes nos préoccupations.

C’est, donc, face à cette réalité que les partis politiques d’Afrique centrale, membres de l’Internationale socialiste et de l’Alliance Progressiste, ont décidé de se structurer en une coordination sous régionale, dans l’optique de mieux se connaître, de mieux se soutenir et d’être plus efficace dans leur lutte pour la démocratie et l’alternance politique.

Ils entendent ainsi briser le système qui les condamne à l’impuissance et à la résignation, dans leur dramatique isolement, chacun dans son pays.

En effet, ils ont la pleine conscience qu’un parti ne saurait être fort s’il est tout seul et que l’absence d’une stratégie politique globale dans la sous-région, est un handicap grave, face aux dictatures en place qui disposent de moyens colossaux pour réduire à néant les efforts et les luttes des démocrates.

Camarades, nous avons ainsi créé, en novembre 2012, à Yaoundé, au Cameroun, l’Alliance Progressiste d’Afrique Centrale.

En effet, même dans les pays où les partis d’opposition sont arrivés au pouvoir (cas de la Centrafrique avec le MLPC), ceux-ci n’ont pas su créer des alliances politiques solides à l’extérieur et à l’intérieur, c’est-à-dire avec le peuple. Pire, ils ont souvent fait une lecture erronée de la situation sécuritaire en se comportant comme s’ils étaient dans des vraies démocraties. Deux erreurs fatales qui ont conduit au renversement de régimes démocratiquement élus.

Il est évident, chers camarades, qu’en Afrique centrale, les systèmes politiques sont verrouillés et violents, plus violents que ce qu’on observe dans d’autres parties de l’Afrique, notamment : en Afrique de l’Ouest, en Afrique australe et au Maghreb, où les peuples ont su prendre en main le cours de leur histoire.

Il est important de tenir compte de ce paramètre dans l’élaboration des stratégies et dans la formulation des solutions aux problèmes et difficultés rencontrés. De plus, nos partis sociaux-démocrates, relativement jeunes, n’arrivent pas encore à créer des cadres transfrontaliers permettant de défendre les valeurs qu’ils ont en partage, tels que : la liberté, la solidarité, la justice, l’esprit d’abnégation et la sacralité de la personne humaine : valeurs intrinsèques qui constituent d’ailleurs, les piliers fondamentaux de la culture africaine.

Ces valeurs, auxquelles sont rigoureusement attachés tous les Africains, se retrouvent parmi les fondamentaux de la doctrine social-démocrate et inspirent fortement la démocratie sociale. Il s’agit là, camarades, d’un constat, je dirais même plus, d’une réalité culturelle africaine qui explique largement l’inclination naturelle des Africains pour la démocratie sociale. C’est ce choix politique que nous avons fait, pour notre sous-région, en nous structurant en Alliance Progressiste d’Afrique Centrale, en sigle APAC.

Nous le constatons tous, très chers camarades, la démocratie sociale est donc possible en Afrique en général, en Afrique centrale en particulier. Elle s’impose face aux autres doctrines politiques car c’est elle qui s’adapte le mieux à notre réalité et qui épouse, le plus intimement possible, les valeurs qui équilibrent la personnalité de l’homme africain.

En effet, camarades, au moment où, dans de très nombreux pays de notre continent, l’alternance au pouvoir relève encore du domaine de l’exception et que presque partout sur ce continent, le pouvoir est si convoité et, très souvent si mal partagé, laisser les dictateurs se pérenniser dans leur gestion catastrophique de nos Etats et de nos sociétés, fera de la question de la dévolution du pouvoir, plus que jamais, la première cause des conflits sanglants qui endeuillent durablement l’Afrique.

Chers camarades, la situation ainsi décrite, de l’Afrique centrale, nous interpelle tous et appelle une prise de conscience. C’est ici que nous entendons aborder les relations de cette sous région avec l’Europe et l’ensemble de la Communauté internationale, génitrices et gardiennes des systèmes démocratiques. Aborder cette question c’est aussi relever la responsabilité de la Communauté internationale et de cette union européenne qui manifestent une certaine mansuétude vis-à-vis de ces dictateurs locaux qui terrorisent et brutalisent leurs peuples. Il faut l’affirmer, haut et fort, la responsabilité de l’Europe dans les drames qui se jouent en Afrique centrale est engagée ; car cette Europe, qui domine le monde depuis le moyen âge, qui a conquis des terres et des continents au-delà de ses frontières naturelles, s’était donné une mission civilisatrice pour les peuples d’Afrique qu’elle avait, par ailleurs, entrepris de coloniser. Les systèmes politiques qui se sont imposés en Afrique centrale, jusqu’à maintenant, ne survivent qu’avec la complicité tacite et même très souvent explicite, de l’Europe qui entraine avec elle, dans son sillage, le reste de la Communauté internationale.

Aucun dictateur ne peut survivre sur le continent africain si l’Europe n’en veut pas.

Pour nous, démocrates africains, il est clairement entendu que la Démocratie, seul mécanisme par lequel le peuple peut exercer son pouvoir et sa souveraineté, est aussi un processus, une culture, un ensemble de comportements codifiés par la loi et qui permet au peuple, premier détenteur de la souveraineté et du pouvoir, d’en confier l’exercice, pour une durée déterminée, à ses représentants, par l’intermédiaire du vote. La démocratie est de ce fait, le seul moyen pouvant permettre à l’élu de se prévaloir d’une légitimité populaire durant le temps limité de son mandat. En conformité avec ce principe, l’exercice de la démocratie a introduit la notion d’alternance qui est la succession des dirigeants et des partis, ou coalitions politiques, à la tête de l’Etat, par le vote. Il s’agit d’une alternance des idées, des opinions, des compétences, des méthodes de gouvernement ou de gestion de l’Etat, essentielle dans tout système démocratique.

L’alternance politique est donc le socle de la démocratie pluraliste en ce qu’elle est l’expression et la traduction du bon fonctionnement démocratique d’un Etat. En vue de consolider la dynamique démocratique, l’Afrique n’est pas restée en marge de l’évolution du monde. C’est ainsi que l’Union Africaine a renforcé sa politique en la matière, avec une instance d’appui à la bonne gouvernance qui inclut la démocratie et la gouvernance politique, la gouvernance économique, la gouvernance des entreprises et le développement socio-économique.

Une panoplie d’instruments juridiques supplémentaires est venue renforcer ce dispositif, comme, d’une part, le Mécanisme Africain d’Evaluation par les pairs (MAEP), un des piliers essentiels du NEPAD institué le 09 mars 2003 à Sharm El Cheick, en Egypte, lors du 6ème comité des Chefs d’Etats et de Gouvernements de l’Union Africaine et d’autre part, des Chartes et Conventions internationales en matière d’élections ; notamment, la Déclaration de Bamako en 2000, la Charte africaine de la Démocratie, des élections et de la gouvernance (Janvier 2007) et la Charte des libertés de l’Union Africaine.

Avec l’Union Européenne, les relations du continent africain, avec ce partenaire stratégique, sont régies par les accords de Cotonou (Accord de Partenariat ACP-UE) signé à Cotonou le 23 juin 2000, révisés à Luxembourg le 25 juin 2005. Ces accords s’appuient sur l’acquis de 30 ans d’expérience en matière de coopération. Les conventions successives de Lomé avaient préalablement fourni un modèle unique dans les relations Nord-Sud, alliant un mécanisme négocié, de préférence commerciale, à une aide financière considérable. Les résultats obtenus avaient toutefois été mitigés. Dans les évaluations de l’aide octroyée par l’Union Européenne aux Etats ACP, il avait été souvent constaté que le contexte politique et institutionnel du pays partenaire n’avait pas suffisamment été pris en compte, hypothéquant trop souvent la viabilité et l’efficacité de la coopération.

Un nouveau partenariat intégrant la dimension politique avait donc été mis en place. La prise en compte de cette dimension politique a permis d’aborder toutes les questions d’intérêt mutuel. Des thèmes importants tels que les politiques de consolidation de la paix et la prévention des conflits ou les migrations ont été explicitement introduits dans l’accord en 2000. Depuis cette période, le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques, de l’Etat de droit et de la bonne gestion des affaires publiques font désormais l’objet d’un dialogue régulier auquel les organisations régionales et sous-régionales, tout comme les représentants de la Société civile, peuvent être associés.

La dimension politique de ces accords a été élargie aux questions de sécurité en 2005. L’accord révisé prévoit un dialogue politique plus systématique et plus formel, au titre de l’article 8 du dit accord de Cotonou, surtout lorsque celui-ci porte sur les trois éléments essentiels suivants : droits de l’homme, principes démocratiques, Etat de droit. En outre, la tenue d’un tel dialogue est désormais un préalable à toute procédure de consultation prévue à l’article 96, à l’exception des cas d’urgence particulière.

Avec un tel arsenal de textes et instruments qui encadrent si judicieusement les relations de l’Afrique de l’Ouest de l’Afrique centrale avec l’Union Européenne et qui prouvent à suffisance comment la démocratie est notre objectif commun, une série de questions s’imposent à nous : Essentiellement, celle d’essayer de comprendre pourquoi l’Union européenne adopte-t-elle cette politique de deux poids deux mesures, quand il s’agit des atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme qui touchent l’Afrique centrale ou l’Afrique de l’Ouest ? Vis-à-vis de l’Afrique centrale, les dictateurs se la coulent douce et peuvent se permettre toutes sortes de dérives… Nous l’avions constaté, en 2015 et 2016, au Congo Brazzaville avec les bombardements des populations civiles dans le département du Pool ; au Burundi, au Gabon, en RDC, au Tchad, en Guinée Equatoriale etc.

 

Pour nous, il est évident qu’il existe deux Europes, deux Unions européennes et deux Communautés internationales : respectivement, d’une part, celles des conservateurs incarnées par les milieux d’affaires, les libéraux et les multinationales qui, pour leurs intérêts, ont choisi, contre vents et marées, de soutenir les dictateurs qu’ils entretiennent et maintiennent au pouvoir ; et d’autre part, la deuxième Europe, celle des forces de gauche incarnée par l’ensemble des progressistes : humanistes, socialistes et sociaux-démocrates, qui s’identifient aux valeurs universelles de Démocratie, de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et de justice sociale. Cette deuxième Europe tente de s’opposer à la première en luttant pour le bonheur pour tous. Entre les deux, notre cause est entendue, nous devrions nous engager ici pour aider à la construction d’une Europe plus juste, plus fraternelle, et plus solidaire pour une société humaine universelle, démocratique et plus harmonieuse.

Camarades, c’est par ces mots que nous terminons notre intervention sur la situation de l’Afrique centrale. Nous avons voulu vous exprimer la volonté politique des peuples de l’Afrique centrale, d’impulser et de promouvoir les mutations qui adapteront leur sous-région au contexte nouveau d’ouverture sur l’Afrique et sur le reste du monde, afin de mettre nos pays à l’abri de toute marginalisation, en les inscrivant, résolument, dans le grand mouvement planétaire des hommes et des idées de notre temps.

Fait à Brazzaville, le 21 avril 2020

Pour l’Alliance Progressiste d’Afrique Centrale (APAC)

Bonaventure Mbaya

Ancien Ministre
Président de la Convergence citoyenne
Président de l’Alliance social-Démocrate du Congo