Au cours des dernières années, la décence des conditions de travail s’est dégradée dans le monde entier : peu de sécurité du travail, salaires faibles, lacune au niveau de la protection sociale et des représentations syndicales. Les employés les plus vulnérables dans le monde entier sont les travailleurs migrants.
En 2013, le nombre de migrants a battu un record et dépassé les 232 millions, la moitié d’entre eux étant des travailleurs migrants. Plus de 25 % des immigrés du monde entier viennent d’Asie. A l’heure actuelle, 30 millions de travailleurs asiatiques sont employés à l’étranger et la tendance est à la hausse. D’une part, la mondialisation économique et la libéralisation du commerce ont supprimé de nombreux emplois et augmenté les pressions migratoires. La réduction des emplois, l’insécurité de l’emploi, des salaires bas et l’absence de politique active du marché du travail ont accéléré la fuite des travailleurs. Des pays tels que les Philippines et le Mexique viennent étayer cette corrélation. D’autre part, la structure de l’économie, un déficit de main-d’œuvre et de qualifications, des changements démographiques sont autant de facteurs clés orientant la demande vers des pays d’accueil tels que Singapour ou l’Allemagne.
La fuite des cerveaux continue d’être une menace pour les pays en développement. Il est important de reconnaître que la migration économique, par nécessité, existe non seulement dans les pays marginalisés et pauvres, mais également dans les pays plus brillants et plus modernes. En raison de mauvaises conditions de travail, de législations du travail injustes, de salaires relativement bas ou d’un manque de débouchés dans leur pays d’origine, des experts, des personnes instruites et hautement qualifiées, cherchent souvent la reconnaissance professionnelle et financière dans la migration. Cela représente un défi perpétuel qui se traduit par une privation de talent et d’expertise dont le pays a cruellement besoin.
Les travailleurs migrants sont confrontés à une myriade de défis. Premièrement, la difficulté psycho-sociale de la vie loin de leurs familles, y compris de leur conjoint et de leurs enfants, tout en essayant de maintenir des relations avec eux, et la difficulté à trouver un groupe de soutien dans les pays d’accueil. Deuxièmement, l’intégration dans les sociétés d’accueil est rendue difficile en raison de la discrimination et de la marginalisation sur la base de la race et de l’origine ethnique, ainsi que le défi de la réinsertion dans leur pays d’origine après avoir vécu une vie difficile à l’étranger. Troisièmement, la protection très limitée des droits individuels et des libertés civiles, en particulier dans les pays gérés par des gouvernements conservateurs et autoritaires. Quatrièmement, le fait de travailler dans un environnement qui traite les travailleurs migrants comme des citoyens de seconde classe, avec de fausses promesses de la part de recruteurs et d’employeurs, et le vaste réseau de traite, d’exploitation et d’abus.
La migration de la main-d’œuvre est un problème complexe demandant avant tout et surtout une distinction entre la migration légale et la migration illégale. Selon les estimations les plus récentes, 10 à 15 % de l’ensemble de la migration est illégale. Les migrants non recensés sont des cibles faciles d’exploitation pour les employeurs et les recruteurs. Dans le pire des cas, les travailleurs migrants subissent viols et abus sexuels et sont contraints à un travail forcé. Craignant la prison ou l’expulsion, la plupart des travailleurs migrants non recensés n’osent même pas faire appel à la justice.
Si les travailleurs migrants non recensés ont à faire à la police, ils finissent en général en prison ou sont expulsés vers leur pays d’origine. La situation des travailleurs mexicains aux États-Unis ne cesse de se détériorer. En 2013, 370 000 immigrants ont été expulsés des États-Unis, deux tiers d’entre eux étaient mexicains. Nous sommes convaincus que la promotion de la migration légale permettrait d’éviter efficacement les abus de la migration illégale et du trafic d’êtres humains.
Il s’avère également que les travailleurs migrants légaux sont souvent moins bien traités que les travailleurs du pays. Ils travaillent dans de moins bonnes conditions, perçoivent des salaires inférieurs, ont une moins bonne protection sociale et sont mal informés sur leurs droits voire exclus de la législation du travail. Nous sommes inquiets de constater une augmentation de la xénophobie et du racisme envers les migrants dans de nombreux pays.
Une opinion souvent négative sur la migration en fait oublier les conséquences positives, notamment les avantages économiques de la migration. Dans la mesure où le sous-développement dans les pays fournisseurs de main-d’œuvre s’accompagne notamment d’un chômage massif et de sous-emploi, les travailleurs migrants contribuent largement au développement économique de leur pays d’origine. Pour certains pays, les envois de fonds sont devenus cruciaux pour maintenir leur économie à flot. En fournissant des travailleurs à l’étranger, le gouvernement répond aussi à la situation de l’emploi dans leurs pays respectifs. De ce fait, il n’est donc pas surprenant que la migration de la main-d’œuvre soit devenue le composant officieux, mais crucial, de la stratégie du gouvernement en matière d’emploi et de développement national. Selon les dernières estimations, les envois de fonds représentent plus de 400 milliards de dollars US en 2013, soit trois fois le montant des fonds d’aide au développement.
Force est de constater que la migration de la main-d’œuvre est devenue un gros business. En Asie, les agences de recrutement privées ont tendance à profiter de la situation précaire des travailleurs peu qualifiés en leur imposant des frais de recrutement astronomiques et en leur faisant miroiter des salaires et des postes utopiques dans les pays d’accueil. Les travailleurs migrants sont ainsi pris dans une spirale d’endettement due aux charges excessives des courtiers de leur pays d’origine et des recruteurs de leur pays d’accueil. Les lois malaisiennes par exemple ont été modifiées au cours des dernières années pour encourager la croissance des entreprises de recrutement qui fournissent des services de main-d’œuvre à des multinationales, y compris le paiement, le logement et les mesures disciplinaires aux employés. La responsabilité relative aux violations des droits des travailleurs n’est pas claire, créant ainsi une vulnérabilité de l’ouvrier face à l’exploitation et aux abus. Cette « sous-traitance » et cette commercialisation du bien-être des migrants doivent être freinées en les mettant en évidence sur la scène régionale et mondiale. La directive européenne (2014/36/UE) relative aux travailleurs saisonniers est un bon exemple incluant explicitement les agences pour l’emploi dans la directive. Nous sommes inquiets de constater une augmentation du trafic d’êtres humains. Cette forme de crime organisé est la plus prospère au niveau international. Il est de notoriété publique que les réseaux de traite d’humains font partie d’un réseau bien plus complexe d’activités criminelles, dont le trafic sexuel et le trafic de drogues, notamment en Amérique centrale et au Mexique. Toujours en Asie, il existe des preuves irréfutables de la contrebande venant de Thaïlande et du Vietnam pour l’industrie du sexe vers la Malaisie. Les autorités doivent agir d’urgence pour lutter contre ce genre de comportement criminel.
Nous sommes persuadés qu’un travail décent est la clé pour éliminer la pauvreté, améliorer les conditions de vie de ces hommes et de ces femmes, stabiliser l’économie, promouvoir une croissance durable et socialement équitable et permettre aux personnes de vivre en paix et dans la dignité. La première étape pour faire face aux problèmes liés à la migration de la main-d’œuvre est un effort actif fourni par le gouvernement pour créer des emplois décents au niveau local. Cela va certainement changer la dynamique de la migration de la main-d’œuvre, passant d’une question de survie à une question de choix personnel de la part de chaque travailleur. Pour protéger les travailleurs migrants peu qualifiés et réduire, voire carrément éliminer complètement, leur vulnérabilité face aux abus, la deuxième action tout aussi importante pour la communauté internationale est de défendre les droits des travailleurs, leur protection ainsi que leur accès à un travail décent dans les pays d’accueil.
Nous croyons que la protection des droits et du bien-être des travailleurs migrants est une responsabilité partagée des gouvernements des pays d’origine et des pays d’accueil. Nous appelons donc les gouvernements des pays d’origine et pays d’accueil à veiller au respect des droits de l’homme et des droits syndicaux envers ces travailleurs. Ils doivent garantir à ces employés l’accès aux syndicats, la négociation collective avec leurs employeurs, et le droit de grève. La sécurité de l’emploi et une protection sociale ainsi qu’un salaire suffisant sont les bases d’un environnement de travail décent. Ces droits doivent être garantis. L’exclusion de la main-d’œuvre migrante de la législation du travail ou l’interdiction de former ou de rejoindre un groupe syndical sont des formes de discrimination et sont donc inacceptables. Nous sommes persuadés que les politiques légalisant la main-d’œuvre migrante illégale en ôtant toute crainte de persécution sont le meilleur moyen de garantir leur protection. Nous croyons que les employeurs qui pratiquent l’esclavage moderne et recrutent des travailleurs sans-papiers doivent être tenus responsables et poursuivis en justice. Il est d’abord et avant tout de leur responsabilité de promouvoir la protection des travailleurs.
Les travailleurs doivent connaitre leurs droits, leurs conditions de vie et de travail avant de quitter leur pays et à leur arrivée dans le pays d’accueil. Outre les états, des organisations de la société civile ont un rôle clé à jouer en fournissant ces informations. D’autre part, les états doivent offrir une assistance par le biais de leurs missions diplomatiques ou des représentations consulaires dans les pays d’accueil. Ils doivent être les acteurs centraux proposant des consultations, des services et garantissant une protection juridique de la main-d’œuvre migrante.
Une migration équitable de la main-d’œuvre implique une approche coordonnée et intégrée des pays. En tant que mouvement progressiste, nous sommes favorables à des accords complets sur la migration de la main-d’œuvre servant de base à la gouvernance de la migration de la main-d’œuvre, alignés sur le principe de traitement et de salaire égaux pour un même poste au même endroit. En fonction du contexte, ces accords peuvent être de nature bilatérale ou multilatérale. En Europe, la migration doit être traitée au niveau de l’Union européenne. En outre, les activités des agences de recrutement privées doivent être strictement réglementés et contrôlés pour éviter tout abus.
Nous appelons les gouvernements à étendre les dispositions de protection sociale pour la main-d’œuvre migrante et à les inclure aux accords sur le travail des immigrés. Conformément à la déclaration internationale des droits de l’homme, chaque membre de la société a droit à une protection sociale. La Recommandation (N° 202) sur les socles de protection sociale de l’OIT adoptée en 2012 représente une excellente opportunité pour l’expansion de la sécurité sociale et l’inclusion de tous les travailleurs résidents. Les socles de protection sociale doivent garantir une protection sociale de base telle que les soins de santé, les soins de maternité et garantir un salaire de base.
En outre, nous incitons vivement les gouvernements à permettre un accès à des prestations de retraite et à en garantir la préservation et/ou la portabilité. Nous sommes certains que la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux sur la protection sociale constitue la base juridique idéale pour coordonner les droits entre deux ou plusieurs pays tout en garantissant l’égalité de traitement, la transparence et la responsabilisation. Le règlement européen N° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale en Europe est un exemple répondant à la question de la protection sociale à l’ère de la mobilité. Il devrait être entièrement appliqué.
Nous ne pouvons pas regarder la migration de travail sans reconnaître la dimension du genre qui marque ce phénomène. Avec 48 % de femmes au niveau international, la migration de la main-d’œuvre est de plus en plus féminine. En tant que mouvement progressiste, nous sommes pour l’égalité des sexes et contre toute forme de discrimination de personnes du fait de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité sexuelle ou de l’expression de leur identité sexuelle. La plus grande partie des travailleuses immigrées sont des employées domestiques. Elles sont le groupe le plus vulnérable. Des inspections du travail sont nécessaires pour garantir leur protection et éviter toute forme d’esclavage moderne. Nous savons que 14 pays, dont les Philippines comme seul pays asiatique, ont ratifié la convention de l’OIT 189 concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques. Nous appelons les états à ratifier sans délai la convention de l’OIT 189 concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, à harmoniser les législations nationales en conséquence et à en superviser la mise en place, notamment par le biais de rapports parallèles de la société civile. Les efforts régionaux au sein de l’ANASE pour pousser à la ratification parmi les pays membres doivent être une priorité en vue de l’intégration économique régionale de l’ANASE en 2015.
Nous pensons qu’une approche basée sur les droits de la migration de main-d’œuvre est la clé de la promotion du travail décent pour les travailleurs migrants. Les gouvernements doivent ratifier et mettre en place les 8 principales conventions sur le travail de l’OIT et en surveiller l’application et le respect. En outre, nous incitons à la ratification et la mise en place de normes obligatoires internationales concernant directement les travailleurs immigrés : La Convention 97 sur les travailleurs migrants (révisée), la Convention 143 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) et la Convention 181 sur les agences d’emploi privées, la Convention internationale 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, les protocoles contre le trafic d’êtres humains ainsi que les accords régionaux tels que la déclaration de l’ANASE sur la protection et la promotion des droits des travailleurs migrants. Ces normes constituent une base juridique contre la discrimination des travailleurs migrants et doivent être surveillées de près. Ces normes doivent néanmoins être révisées afin qu’elles restent en phase avec les tendances et les modèles de migration les plus récents. Nous apprécions par conséquent les efforts récents de l’OIT pour un engagement plus actif dans le débat international sur la migration.
La migration est devenue une des clés du succès des marchés du travail dans le monde entier. Afin de garantir que la migration de la main-d’œuvre reste un choix et non pas une nécessité pour les personnes concernées, nous appelons les gouvernements à fournir les efforts nécessaires pour la création d’emplois décents avec des salaires décents pour un emploi productif et pour un développement économique équitable et durable. Nous sommes convaincus que la création d’emplois décents et des socles de protection sociale doivent figurer dans l’agenda de l’après-2015 sur les objectifs de développement durable.
En tant que mouvement progressiste, nous prônons la paix, la solidarité et la justice sociale. Notre objectif ultime reste avant tout la lutte contre le piège de la pauvreté, la garantie d’un travail décent et d’un salaire suffisant pour tous les travailleurs afin de construire des sociétés socialement équitables et justes.