PUBLIÉ LE décembre 8, 2015
En septembre dernier, à New York, les chefs d’États et de gouvernements du monde entier se sont réunis pour adopter le nouvel « Agenda 2030 pour le développement durable ». L’Agenda définit les grandes lignes du développement mondial en mêlant les objectifs des agendas sur la pauvreté, le développement et l’écologie. Les 17 Objectifs pour le Développement Durable (ODD) sont universels et entrent en vigueur immédiatement pour tous, aussi bien les pays en développement que les pays émergents et industrialisés.
Les ODD comportent, au-delà des trois aspects habituels – développement économique, intégration sociale et durabilité environnementale –, un quatrième aspect concernant la gouvernance et les questions de sécurité. Les approches de l’Agenda 2030 dépassent donc largement les objectifs de la politique de développement telle que nous la connaissons, tant sur le fond que par leur volonté politique de changement.
Les débats politiques sur l’Agenda 2030 ne font que commencer. De nombreux changements nécessaires, sur lesquels les États se sont en principe engagés avec les Objectifs pour le Développement Durable, vont à l’encontre des systèmes établis aux intérêts puissants. Leur modification change cependant la donne entre vainqueurs et perdants – et ce, probablement selon un autre schéma que celui auquel nous nous sommes habitués au cours des dernières décennies : une transformation globale de l’énergie transfèrerait des parts de marché, conclurait des marchés et modifierait les rapports de propriété ; la question de l’inégalité va ébranler les fondements du capitalisme financier ; si l’on entérine les droits du travail, la balance des pouvoirs sera modifiée en faveur des travailleurs et des syndicats dont les droits ont été marginalisés pendant des décennies.
Le monde n’a pas été mis sans dessus-dessous par les débats sur les Objectifs du Développement Durable. Mais l’Agenda 2030 fournira, dans les prochaines années, d’importants appuis aux partis progressistes et aux syndicats d’organisations de la société civile pour faire face aux perturbations et lutter pour un développement équitable et démocratique.
Agenda 2030 : Inclusive and Sustainable Growth (Croissance solidaire et durable)
- Avec l’accentuation dramatique des inégalités à l’intérieur et entre les pays, ainsi qu’avec les manifestations et les mouvements sociaux dans de nombreux États, la question sociale est revenue au centre des préoccupations et des débats de la société. L’inégalité est l’une des sources principales de conflits. La question décisive pour la condition du monde et de ses pays n’est donc pas de savoir si la prospérité des (sociétés) riches progressera, mais s’il sera possible de réduire les différences sociales, économiques et environnementales. Même le rapport du Forum économique mondial de Davos sur les « Risques mondiaux 2014 » part du principe que l’un des plus gros risques de la décennie à venir à l’échelle mondiale sera lié aux écarts salariaux.
- Plus concrètement, une répartition des revenus et des biens fortement inégale a des conséquences économiques, sociales et politiques directes et immédiates : une inégalité forte et durable est préjudiciable à la prospérité économique mais subordonne également, de manière fondamentale, de nombreux dérapages sociaux. L’inégalité cimente les rapports des forces et des chances, entrave ainsi la mobilité sociale et intergénérationnelle et rend la lutte contre la pauvreté plus difficile. Elle menace la paix sociale, la stabilité politique et sape à long terme la démocratie.
- Pour lutter contre l’inégalité il faut mener de front plusieurs démarches :
- Modifier la répartition primaire par l’introduction du salaire minimum, des conventions collectives et la formalisation des emplois.
- Introduire des mesures de redistribution directes par l’État, comme une politique fiscale efficace, des systèmes de transferts, etc.
- Introduire des mesures indirectes pour lutter contre l’inégalité, comme la subvention d’un système de santé public, de l’éducation et du travail.
- Introduire des mesures internationales comme la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.
- Le plein emploi et le travail décent pour tous sont des éléments clés du développement social et économique. En créant des emplois et de meilleures conditions de travail, les hommes, et donc les communautés et les États, peuvent sortir de la pauvreté et améliorer leurs situations eux-mêmes. La question du « bon travail » sera particulièrement centrale dans les années à venir. Étant donné les 400 millions de travailleurs à faible revenu qui bien qu’ils aient un emploi vivent dans l’extrême pauvreté, la grande part d’emploi informel surtout dans les pays de l’hémisphère sud, les trois-quarts de l’humanité vivant sans couverture sociale auxquels s’ajoutent les entorses massives aux droits du travailleurs et des syndicats, les partis progressistes, sociaux-démocrates et socialistes du monde entier doivent s’unir sous la bannière du « travail décent ». Ici aussi – conformément à l’esprit de l’Agenda 2030 universel – les changements dans les pays industrialisés comme dans ceux en développement devront se recouper. Non pas ponctuellement mais de manière générale : cela comprend p.ex. l’extension de la responsabilité des entreprises, leur obligation à rendre des comptes et à la transparence tout au long de la chaîne logistique ; la mise en place de la protection sociale de base et l’introduction du salaire minimum vital pour institutionnaliser à grande échelle, et également matériellement, les droits sociaux de l’homme ; le soutien aux mouvements syndicaux internationaux et à l’OIT dans leur lutte pour l’application des normes fondamentales du travail ; la réforme des Marchés Publics et la fin de la sous-enchère salariale.
- Le succès de l’Agenda 2030 se mesurera non seulement à l’éradication de la pauvreté mais aussi à la réalisation des objectifs d’une économie durable. Désolidariser la croissance et la prospérité de la consommation des ressources, de la production de déchets et des émissions de gaz à effet de serre sera au cœur des transformations structurelles nécessaires – dans tous les pays.
- Cette désolidarisation doit être à la hauteur de la finitude du système terrestre et donc respecter les frontières planétaires. Il est absolument nécessaire de désolidariser entièrement la production et la consommation de « l’impact environnemental », ce qui signifie de diminuer radicalement la consommation des ressources et les nuisances environnementales. Une « désolidarisation partielle » dans laquelle l’efficience environnementale serait meilleure (à savoir l’efficience des ressources, matériaux ou de l’énergie), mais où la consommation des ressources et les nuisances environnementales progresseraient néanmoins – même si en moindre mesure – en raison de l’augmentation continue de la production, ne suffirait pas à long terme pour échapper au dilemme de la croissance. Ces objectifs ambitieux de désolidarisation absolue ne pourront, dans un premier temps, être mis en place que pour les pays industrialisés. Pour les pays émergents et les pays en développement il serait envisageable de s’accorder sur des objectifs relatifs, échelonnés en fonction de leur degré de développement.
Agenda 2030 : Building Inclusive and Democratic Societies (Mettre en place des sociétés solidaires et démocratiques)
- La mise en œuvre d’une telle économie et de ses passerelles implique une société de dialogue. La qualité de la démocratie, de la gouvernance et de la politique est décisive pour les succès du développement. Les expériences concrètes de la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (ODM) montrent que la « bonne gouvernance » fait la différence – « it‘s politics, stupid! » (c’est de la politique, idiot !).
La bonne gouvernance est le « chaînon manquant » permettant d’atteindre bien des objectifs de développement. Des institutions faibles, l’arbitraire, de mauvaises administrations, la corruption, des sociétés civiles aux mains liées entravent le développement et menacent la stabilité des États et des régions. Le discrédit des institutions est lié à l’échec des États où règnent l’autocratie, les structures néo-patrimoniales, l’incapacité et la corruption. La bonne gouvernance et le l’exercice du pouvoir, c’est à dire la mise en place de structures stables, efficaces, solidaires et démocratiques à tous les niveaux (local, national, régional) est un des plus grands défis des années à venir. C’est en grande partie à l’accomplissement de cette mission que l’on pourra mesurer le succès ou l’échec des autres objectifs centraux de l’Agenda global.
- Les nombreuses personnes qui n’échapperont pas à l’inégalité, à la corruption et au manque de perspectives n’auront pas le droit à la participation sociale et politique. Dans de nombreux pays, les institutions ne remplissent plus leur fonction, la politique et l’économie se blindent contre les craintes, les exigences et les besoins d’expression des gens. Gouverner démocratiquement n’est pas seulement un corset permettant de soutenir le développement, mais également l’aspiration d’une grande part de la population à davantage de libertés et à une véritable participation. L’enquête de MYWorld montre qu’indépendamment des frontières les gens placent un « gouvernement honnête et responsable » au sommet des priorités (en troisième position, juste après l’éducation/ la formation et la sécurité sociale).
- Les changements exigés par l’Agenda 2030 ont besoin d’autorités responsables. Rares sont les institutions en place (au Sud comme au Nord) capables de réaliser cette transformation dans leurs structures actuelles. La bonne gouvernance signifie par conséquent de bâtir de nouvelles institutions, d’évaluer les existantes et de promouvoir l’innovation. D’un point de vue pratique, il s’agit pour de nombreux pays de créer un nouveau contrat social qui serait davantage inscrit dans l’esprit des citoyens que sur le papier. Il est ainsi capital de créer de nouvelles institutions démocratiques dans tous les domaines de la société.
- Pour concevoir une gouvernance démocratique durable il faut créer des institutions démocratiques sur un terrain où la démocratie est une réalité vécue et perceptible. Elles doivent être mises en place à tous les niveaux de la vie quotidienne des gens. Ceci implique que les principes démocratiques et la bonne gouvernance ne se cantonnent pas à la seule sphère politique au sens étroit du terme. Cela signifie concrètement que la bonne gouvernance ne doit pas s’arrêter aux portes de l’usine, de la caserne, de l’école ou de l’université. Le rapport entre capitalisme et démocratie est donc également au cœur de nombreux débats. C’est là que se situe l’un des plus gros chantiers politiques, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest.
Pour un Agenda 2030 progressif
« Combattre l’inégalité », « créer une croissance solidaire », « construire des sociétés démocratiques » voilà le contenu de l’Agenda 2030 des forces progressives, sociales démocrates et socialistes du monde entier. Dans le nouvel Agenda 2030, en faveur duquel tous les États se sont engagés, se trouvent de nombreux objectifs conformes à notre Agenda :
- Assurer une éducation égalitaire et de grande qualité, promouvoir l’apprentissage continu pour tous (Objectif 4),
- Atteindre l’égalité des sexes et promouvoir les femmes et les filles (Objectif 5),
- Garantir l’accès à des sources d’énergie abordables, sûres, durables et modernes pour tous (Objectif 7),
- Encourager la croissance économique continue, solidaire et durable, le plein emploi productif et le travail décent pour tous (Objectif 8),
- Réduire les inégalités à l’intérieur et entre les pays (Objectif 10),
- Garantir des formes de production et de consommation durable (Objectif 11),
- Promouvoir des sociétés pacifiques et solidaires pour un développement durable, permettre l’accès à des moyens judiciaires pour tous, création d’institutions efficaces, transparentes et solidaires à tous les niveaux (Objectif 16) ainsi que
- renforcer les moyens de la mise en place et de la revitalisation de partenariats mondiaux pour le développement mondial durable (Objectif 17).
Il est maintenant de notre ressort, nous, les forces progressives, sociales démocrates et socialistes du monde entier, de veiller à ce que nos gouvernements mettent en place les objectifs de l’Agenda en prenant également des mesures stratégiques nationales.
Nous voulons des sociétés démocratiques et solidaires.
Esquisse Santo Domingo (PDF)