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Montevideo

Inputpaper provisoire: En définissant le travail de demain

Contribution à la réunion de l’Alliance Progressiste

à Montevideo 26/27 septembre 2019

Le travail de demain ne dépend pas seulement de la technologie, mais de la combinaison entre l’évolution technologique, les anciennes lacunes structurelles du marché du travail, les structures de production des pays, leur insertion internationale et, fondamentalement, les décisions politiques qui seront prises.

Le syndicalisme international aime à dire que l’avenir du travail commence maintenant. Il est nécessaire de réfléchir au travail de demain en abordant et en résolvant les problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés aujourd’hui. Il s’agit du présent et non pas seulement de l’avenir, et le démantèlement continu des droits du travail fait également partie de ce présent.

Le marché du travail en Amérique latine est un marché déjà très polarisé. Il se caractérise par des taux élevés d’économie informelle, d’inégalités multiples et une précarité endémique. En 2018, la CEPALC et l’OIT ont constaté une expansion du travail indépendant, ainsi qu’une plus grande présence d’économie informelle de l’emploi salarié.

L’infrastructure numérique est peu développée en Amérique latine. 44 % des foyers du continent ont accès à Internet, avec une forte hétérogénéité aussi bien entre pays qu’entre les différentes couches sociales.

En tant que précurseur latino-américain, l’Uruguay figure au 42e rang sur 176 de l’indice de développement des TIC, mais selon de nombreux indicateurs, la région se situe bien en dessous de l’Amérique du Nord, de l’Europe et de l’Asie. Il est vrai que des progrès ont été réalisés ces dernières années en raison de l’expansion et de la modernisation de l’accès à Internet, mais ils visent principalement la consommation. En revanche, l’expansion de l’Internet industriel et son utilisation à des fins de production se trouvent encore à leur phase initiale.

Le modèle économique actuel de la plupart des pays d’Amérique latine est principalement axé sur l’exportation de matières premières et de produits agricoles, et les centres industriels sont concentrés dans peu de pays. Il serait dès lors surprenant que le changement technologique ait un impact important sur le secteur des services dans la région, où il ne remplace pas le travail humain (en 2018, le secteur qui connaît la plus forte augmentation de l’emploi selon la CEPAL/OIT), mais il transforme cependant le travail humain et dans de nombreux cas il entraîne sa précarisation.

En construisant des alliances dans une perspective progressiste

Afin de ne pas manquer l’occasion d’influencer la configuration active et progressiste du travail de demain, les acteurs progressistes de la région doivent établir la prédominance interprétative de la terminologie de ce changement et transmettre leur propre vision de l’avenir. Le « récit » actuel de l’avenir du travail est entièrement néolibéral, individualiste et capitaliste. Le concept d’économie collaborative est souvent utilisé pour masquer le déséquilibre des pouvoirs entre le secteur des employeurs et les travailleurs, afin de manquer aux obligations. Il s’agit alors de le contrer par un discours alternatif et la vision d’une modernité numérisée, émancipatrice, inclusive et durable.

Nous devons rechercher des alliances entre les acteurs progressistes afin de construire une vision alternative reliant le social et l’économique, qui se concentre sur la justice sociale et environnementale, qui élabore une politique d’émancipation des personnes. Et lorsqu’il s’agit de façonner l’avenir du travail, les organisations représentant ceux qui vivent ces changements dans leur propre chair, les travailleurs et les travailleuses, constitueront un allié essentiel. Sans le mouvement syndical, il ne sera pas possible de formuler une réponse progressive aux défis du travail de demain.

En construisant l’Agenda Progressiste

La précarité est endémique, il existe une multitude de modes de recrutement de main-d’œuvre (temporaire, à temps partiel, externalisé, indépendant, zéro heure). Des modes de recrutement qui sont souvent conçus pour masquer des relations de dépendance ou nier des obligations des employeurs.

À ces mutations de la relation de travail s’ajoute la tendance au « managment » par algorithme. De plus en plus d’entreprises transforment leurs processus pour ressembler davantage à ce que nous associons au travail sur les plateformes. Le contrôle indirect par Internet ou GPS, la normalisation des tâches et des processus d’évaluation, la communication avec la direction via des interfaces numériques, la nécessité de présenter un concours pour chaque nouveau poste ou projet, la variation des demandes du secteur des employeurs , la disponibilité 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, des relations de travail formelles, mais toujours précaires, sont quelques-unes des caractéristiques de plus en plus fréquentes de cette tendance. Le défi de la régulation du travail de demain n’est donc pas uniquement une question d’emploi sur les plateformes.

Pour éviter la désintégration continue du marché du travail avec leurs impacts sociaux et politiques, il est prioritaire de défendre les droits des travailleurs et des travailleuses en matière de travail, quel que soit le mode de recrutement choisi. Une garantie universelle du travail, telle que proposée par la commission sur l’avenir du travail de l’OIT.

Il est indéniable que les données et l’intelligence artificielle sont des facteurs qui influencent déjà nos vies et ne vont pas disparaître, au contraire, leur importance va croître. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être un facteur obscur et inconnu. Nous devons les comprendre et contester la façon de les utiliser. Et ceci non seulement en petits comités, mais avec une large participation. Nous devons avancer sur le programme « Digital Enlightenment » afin de donner à nos sociétés le pouvoir de construire notre propre destin et de veiller à ce que l’avenir du numérique, soit participatif et démocratique.

Aujourd’hui, les données constituent un facteur économique important, à tel point qu’on l’appelle souvent « le nouveau pétrole ». Mais ces données sont également des droits personnels, intellectuels et, dans de nombreux cas, une intimité de la vie des personnes. Par conséquent, ce n’est pas uniquement un problème économique que chaque État veille à l’utilisation, au traitement et au commerce des données de ses citoyens et citoyennes. L’agenda actuel de l’OMC sur le commerce électronique ne prend pas suffisamment en compte ces questions, en plus de menacer le développement de certains secteurs technologiques dans les pays.

Il est urgent d’adapter les systèmes fiscaux nationaux et internationaux aux nouvelles formes d’activité. Comme presque toutes les activités privées, elles se bénéficient de l’utilisation des infrastructures et des biens publics, et par conséquent, elles doivent contribuer aux revenus des États où leurs profits sont générés.

Le nouvel environnement du travail exige de nouvelles qualifications. Ce défi doit être relevé conjointement par l’État, le secteur des entreprises et les travailleurs. Une éducation publique de qualité est nécessaire, une éducation conçue comme une politique de développement.

De même, il faut renforcer la formation et les aires de perfectionnement pour offrir de nouvelles options à ceux qui ont déjà un emploi. Les marchés du travail de l’Amérique latine se caractérisent par de fortes fluctuations, des salaires bas et de faibles investissements dans l’amélioration des connaissances des travailleurs et des travailleuses. Actuellement, seulement 10 % des personnes qui travaillent reçoivent une formation dans l’entreprise. Cela doit changer. Il est également de la responsabilité des entreprises d’investir dans la formation de leurs employés.

L’ensemble des politiques publiques doit tirer profit du potentiel de transformation des nouvelles technologies pour une économie progressiste. Elle ne doit pas soutenir la technologie qui remplace le travail humain, mais celle qui améliore les conditions de travail, qui génère de la richesse pour la majorité, qui vise une véritable collaboration. Les axes d’inclusion environnementale et sociale doivent s’articuler autour de l’intégration, de l’adaptation et du développement d’innovations incrémentielles des nouvelles technologies.

Les indicateurs de la région en matière d’éducation, de recherche, d’innovation et de développement sont incompatibles avec l’objectif de générer des emplois de meilleure qualité et productivité. Malgré cela, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont la possibilité de progresser rapidement dans ces domaines.

Par exemple, la région a la capacité de développer sa propre technologie dans les énergies renouvelables, ainsi que pour la conception et la production de véhicules pour le transport de marchandises et de passagers qui utilisent ce type d’énergie. Certains pays ont montré qu’il était possible de modifier la matrice énergétique, comme dans le secteur de l’électricité au Brésil, au Chili, au Costa Rica, en Équateur, au Mexique et en Uruguay.

Dans le même sens, il existe suffisamment de marge pour développer des technologies liées à l’utilisation de biens naturels, où les problèmes d’environnement et d’inclusion convergent également.

Il s’agit d’avancer vers un nouveau modèle énergétique et productif grâce à un ensemble coordonné d’investissements, dans lesquels convergent les dimensions de l’emploi, de la technologie et de l’environnement.

Seule une alliance sociale et politique à caractère progressiste, qui transcende les frontières nationales et conteste le sens de la transformation technologique de manière démocratique, permettra que le travail de demain serve à progresser sur un continent doté d’une plus grande justice sociale et environnementale.

 

 

Inputpaper provisoire: En définissant le travail de demain