12 octobre 2018
Migration et justice sociale
La justice sociale est l’un des piliers essentiels pour une paix durable et une coexistence fructueuse. Chacun doit pouvoir s’épanouir librement, indépendamment de sa nationalité, ses origines, sa couleur de peau, sa religion, son handicap, son sexe ou son orientation sexuelle. Mais les gens n’ont pas les mêmes chances de vie partout dans le monde et les richesses ne sont pas équitablement distribuée. Les origines décident non seulement de la perspective de vie, mais aussi des chances de mobilité. Par conséquent, une migration future sûre, ordonnée et régulière doit également être organisée de manière socialement juste.
La mondialisation néolibérale a entraîné encore plus d’inégalités
Les huit personnes les plus riches au monde possèdent autant que les 3,6 milliards de personnes les plus pauvres, soit la moitié de l’humanité. Un pour cent de la population mondiale possède ensemble plus de 99 % de la fortune restante. La dérégulation des marchés du travail et des finances, la concentration de biens et la mentalité de l’enrichissement chez ceux qui sont déjà privilégiés, les systèmes d’impôts propices au capital, y compris les pratiques d’évitement d’impôts et d’évasion fiscale peu sanctionnées dans le passé, une orientation Shareholder-Value extrême, le découplage de la croissance économique et de la prospérité matérielle, l’étalement des revenus du travail, le manque de chances d’éducation : les tendances et les structures menant à encore plus d’inégalité sont évidentes, et leurs répercussions aussi. Il existe également des perdantes et des perdants du néolibéralisme dans les pays du nord global dont les revenus stagnent tandis qu’un pour cent profite de manière presque obscène des processus de croissance mondiale.
Cependant, la redistribution néolibérale de « bas » en « haut » n’a pas fait apparaître des perdantes et des perdants de la mondialisation que dans les pays du nord global. Dans de nombreux pays du sud global en effet, les gens ont été touchés de façon nettement plus brutale. Car c’est ici qu’ont été testées les méthodes du néolibéralisme dans le cadre de programmes dits d’ajustement structurel. Une politique qui a misé sur la privatisation et la limitation des dépenses sociales a entraîné l’appauvrissement et une insécurité croissante au niveau des conditions de vie. La privatisation de l’enseignement fait que l’accès à une bonne éducation dépend à présent de l’origine sociale ou ethnique, du lieu de résidence ou d’autres facteurs.
La migration de main d’œuvre est un symptôme de l’inégalité
Il n’est pas rare que la migration de main d’œuvre soit le symptôme des déséquilibres provoqués par la mondialisation néolibérale. Selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), sur les 258 millions de migrants internationaux, environ 150 millions de travailleuses et de travailleurs immigrants sont en quête d’opportunités pour leur permettre à eux-mêmes ainsi qu’à leurs familles de vivre une vie meilleure. La plupart des migrantes et migrants le font de manière sûre et ordonnée. Mais les personnes qui doivent quitter leurs familles afin d’assurer leur existence sont souvent exploitées et privées de leurs droits. Selon OIT, 89 millions de personnes sont devenues les victimes d’une ou de plusieurs formes d’esclavage moderne sur des périodes allant de plusieurs jours à cinq ans au cours des dernières cinq années. D’autre part, elles sont souvent forcées de payer des frais en lien avec l’embauche de main d’œuvre qui les poussent à la dépendance.
Organiser une migration sûre, ordonnée et régulière de manière socialement juste !
Les gens ont le droit de rester là où ils sont chez eux. C’est pour cela qu’il est nécessaire de protéger leurs ressources vitales et leurs droits. La redistribution de bas en haut doit être renversée et les rapports capitalistes de propriété, de domination et d’hégémonie doivent être remis en cause. Car telle est la cause principale pour la destruction des ressources vitales naturelles qui poussent les gens à quitter leur patrie. Une perspective de justice sociale doit prendre en compte les privilèges qui sont basés sur l’appartenance à certaines régions et groupes sociaux et doit en même temps agir en faveur d’un mouvement de solidarité international des perdantes et perdants de la mondialisation. Le racisme et la haine contre les présumés étrangers doivent être combattus.
En plus du droit de rester, nous devons également défendre le droit à la libre circulation et la mobilité. En effet, la migration est la plus ancienne stratégie de réduction de la pauvreté et d’amélioration des conditions de vie. Un changement de perspective s’impose ici, qui accepte la migration comme une stratégie d’adaptation, qui met au cœur du débat l’amélioration de la situation de vie et de travail des migrantes et des migrants et qui s’efforce de mettre en place une réforme de la politique de migration globale à laquelle participent également les pays du sud global.
En effet, la migration n’empêche pas le développement. Souvent même, elle l’encourage. Depuis de nombreuses années, la migration temporaire est la forme de migration avec la plus forte croissance et les transferts d’argent des migrantes et des migrants vers leurs pays d’origine jouent un rôle de plus en plus important. Ces transferts servent fréquemment aux familles d’origine non seulement pour la lutte directe contre la pauvreté, mais ils offrent aussi des opportunités d’éducation et une amélioration des soins de santé. En outre, les migrantes et les migrants peuvent ainsi être porteurs de nouvelles connaissances et de développements techniques.
Mais en même temps, la migration peut également encourager l’inégalité et l’exode des cerveaux. C’est justement parce que la migration est un phénomène complexe qu’il sera important à l’avenir que le régime de migration soit établi en collaboration avec les pays du sud, alors que jusqu’à présent, ce sont avant tout les pays du nord qui définissent ce qu’on entend par migration « souhaitée » et migration « indésirable ».
Comme tous les autres, les travailleuses et les travailleurs immigrants ont droit à un traitement équitable. C’est un élément clé pour la cohésion sociale et le développement durable des sociétés.
Une migration juste et efficace de la main d’œuvre comporte des opportunités pour les personnes concernées, pour leurs familles et pour les pays d’accueil. Elle contribue à équilibrer l’offre et la demande en matière de travail, mais nécessite toutefois des qualifications afin que le niveau de compétence soit élevé d’une manière générale.
Les travailleuses et travailleurs immigrants cotisent au régime de sécurité sociale et contribuent à l’enrichissement culturel et social des sociétés.
Une migration bien organisée de main d’œuvre signifie que des couloirs de migration sont réglementés entre les régions et que les coopérations sont encouragées entre les États. Le Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière constitue le cadre pour la coopération. Les normes internationales du travail, notamment les principes et droits fondamentaux pour le travail, les conventions pertinentes de l’OIT et les conventions des Nations Unies en constituent la base. Le « Cadre multilatéral pour les migrations de main-d’œuvre » de l’OIT et les « Principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable » sont des instruments qui doivent être utilisés encore plus par les États.
La conception de la mobilité mondiale au XXIe siècle relève de la responsabilité de la communauté des États et ne doit pas être laissée aux mains des marchés. L’accès à la mobilité doit s’orienter en fonction des besoins des êtres humains et pas seulement des intérêts des entreprises.
Voilà pourquoi :
- Nous appelons tous les gouvernements à mettre en œuvre, conformément au droit international, le Pacte mondial pour la migration sûre, ordonnée et régulière – au niveau international, régional, national et au sein des communautés.
- Nous avons besoin de syndicats puissants, coopérant au niveau international, qui sont prêts à s’opposer aux entreprises transnationales afin de changer cette situation insoutenable et de créer des conditions sociales plus stables pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs. Car la plupart des migrants sont des travailleurs.
- Nous avons besoin de syndicats puissants, qui renforcent la solidarité entre les travailleuses et les travailleurs, indépendamment de leur nationalité, leurs origines, leur couleur de peau, leur religion, leur handicap, leur sexe ou leur orientation sexuelle et de se mobiliser ensemble pour mener la lutte sociale.
- Nous devons créer des emplois décents, car un bon travail est une contribution essentielle à la lutte mondiale contre la pauvreté. Nous nous battons pour la mise en œuvre de l’agenda de l’OIT pour le travail décent ainsi que l’instauration et la mise en œuvre des normes fondamentales du travail sur le terrain. La question de la responsabilité de l’entreprise en matière de standards sociaux et écologiques y est étroitement liée.
- Les directives de l’OIT sur la conception juste de la migration de main d’œuvre doivent être implémentées à tous les niveaux, à la fois mondial, régional et national. Les travailleuses et les travailleurs immigrants ne doivent plus être plus à la merci de pratiques commerciales contraires à l’éthique.
- Dans le sud global, les marchés du travail sont marqués par une part importante de travail informel qui constitue pour de nombreux migrants sans papiers valides la seule et unique possibilité de gagner de l’argent. Ces travailleuses et ces travailleurs aussi doivent être protégés par les États et les syndicats et des moyens de régulariser leur situation doivent être mis à disposition.
- Finalement, dans de nombreux pays, y compris de l’Union Européenne, soutenir et apporter de l’aide aux migrants est devenu un délit. Des gouvernements européens mettent la pression sur des ONG et leurs bateaux comme SOS Méditerranée et Aquarius pour les empêcher de continuer à sauver des vies humaines dans la Méditerranée. Nous réfutons l’argument que l’aide humanitaire favorise le trafic d’humains. Nous condamnons fortement la criminalisation de l’aide humanitaire. Des problèmes humanitaires nécessitent des solutions humanitaires.